Comment allons-nous assurer notre
sécurité ?
La sauvagerie de la récente attaque terroriste contre le centre commercial Westgate de Nairobi, avec ses plus de soixante victimes innocentes, pose la même question que le 11 septembre : quel était l’objectif des terroristes ? Aucune réponse claire ne vient à l'esprit. D’ailleurs, après l'assassinat d'Abraham Lincoln, Benjamin Disraeli avait déjà déclaré sans détour devant la Chambre des communes britannique qu'à l'évidence, « aucun assassinat n'a jamais changé l'histoire du monde. »
Et en effet, je ne vois aucune campagne terroriste qui ait atteint ses objectifs. Il en va de même des opérations militaires qui, si elles sont souvent parvenues à obtenir un gain territorial, à renverser un dictateur ou à acheter quelques années de paix, se sont souvent payées par une nouvelle guerre, tandis que le coût de la guerre, dépassant invariablement les prévisions les plus élevées, affaiblissait dangereusement le prétendu vainqueur. En revanche, ces stratégies violentes ont généralement réussi à susciter des contre-mesures, aussi sûrement qu'un nouveau virus accroît l'efficacité des systèmes immunitaires.
Ainsi, militarisé dès sa création, l'Etat d'Israël est-il depuis lors toujours en guerre. En provenance des pays voisins, les attaques des fedayins des années 1970 avaient produit une double clôture barbelée avec une piste de sable fin entre les deux, de telle sorte que les empreintes de pas des terroristes puissent être très rapidement repérées. En provenance de l'intérieur du territoire contrôlé par Israël, l'Intifada des années 1990 a produit la barrière absolue, un mur de béton infranchissable. L'invasion soviétique de l'Afghanistan a produit divers mouvements de moudjahidines, puis les talibans. La présence américaine sur le territoire saoudien pour la campagne Tempête du désert a enflammé Al-Qaida. On pourrait donc soutenir que les actions violentes ont souvent eu l'effet contraire à leur objectif initial, et ce pour un prix effarant.
Il y a une espèce de malédiction attachée à la guerre et au terrorisme. Maximilien Robespierre avait plaidé devant la Convention contre l'envoi de troupes pour soutenir la Révolution à l'étranger. Ces « missionnaires armés », avait-il averti, ne serviraient qu’à préparer l’évènement d'une dictature. Deux choses sont certaines : il n'a pas été entendu, et, peu après, Napoléon Bonaparte confisquait la Révolution française à son profit.
Plus récemment, la guerre d'indépendance algérienne a été si impitoyable que l'Algérie vit depuis par le glaive, et que sa population a été décimée par le glaive entre 1991 et 2002. La Somalie a été désintégrée par l'intervention des Nations-Unies sous commandement américain en 1991-1992 et les « shebabs » qui ont assassiné tant de monde à Nairobi sont l’un des sous-produits de cette intervention. La violence ne semble guère le chemin le plus court pour construire l'avenir.
Ceux qui veulent la paix doivent cependant réfléchir à ce que le massacre de Nairobi a à nous dire.
Nous avons échoué à faire prendre conscience à l’échelle mondiale que les conflits sont créés par des politiques inadaptées et par l'acceptation complaisante de situations inéquitables par les plus privilégiés. Le massacre kenyan doit nous rappeler que tant que le supermarché mondial servira seulement une petite partie de la population, aussi longtemps que la misère enchaînera les plus pauvres à leur sort sans espoir tandis que d'autres se vautrent dans l'abondance, aussi longtemps que certains sont privés de leurs droits fondamentaux ou de raisons légitimes d'espérer une vie meilleure, il y aura des pirates, des shebabs, ou tout simplement des jeunes frustrés issus de nos propres centres villes pour attaquer la source de richesse la plus proche, surtout quand d'insolents symboles de luxe y sont effrontément exposés.
L'injustice flagrante et l'humiliation génèrent la colère, le ressentiment et parfois la haine et la révolte. L'humanité doit apprendre d'urgence à faire face aux causes profondes de ces situations, et à traiter ces sentiments d’animosité, d'autant plus que les stratèges nous avertissent que les conflits sont souvent déclenchés par la rareté des ressources.
Étant donné que la population mondiale attendra bientôt les sept milliards contre trois milliards il y a seulement cinquante ans, et qu'elle est en chemin pour atteindre les dix milliards à l'horizon 2050, les ressources naturelles seront de plus en plus l'objet de conflits. Ces ressources comprennent des minéraux et des sources d'énergie, mais aussi l'eau et des terres arables.
Avec l'augmentation des conflits, l'humanité n'a plus d'autre choix que d'essayer de se dégager de son modèle concurrentiel féodal ou national traditionnel qui a fourni le cadre idéal à de si nombreux conflits par le passé.
L'humanité doit apprendre à gérer les ressources de la planète dans son ensemble. Pour ce faire, elle doit découvrir comment s'asseoir à une table et écouter les points de vue des uns et des autres, et comment discuter des intérêts communs. Du moins, à condition que des égos mal placés ne viennent pas se mettre en travers de la route. Comme le disait avec clairvoyance Robert Schuman, le ministre français des Affaires étrangères qui, lui, a changé le cours de l'histoire mondiale le 9 mai 1950 quand il a présenté le premier accord liant la France et l'Allemagne : « La démocratie et ses libertés ne peuvent être sauvées que par la qualité des gens qui parlent en son nom ».
Ceux qui attachent du prix à la paix et à la sécurité doivent également s’attacher à aider ceux qui se trouvent impliqués dans des conflits à trouver une réponse à la colère et à développer de nouvelles motivations pour construire un monde plus sûr. La construction de la confiance est le matériau de base de la paix ; elle ne peut pas se diffuser par les media mais doit progresser d’une personne à l’autre. Selon notre expérience au sein de CAUX-Initiatives et Changement, tout comme dans l’expérience d’autres groupes, c’est réalisable et cela fonctionne.
Les responsables et décideurs en matière de politique de sécurité devront investir sérieusement dans ce type de sécurité et chercher comment appuyer ceux qui peuvent faciliter de telles démarches.
Antoine Jaulmes est un ingénieur diplômé de l'Ecole des Mines de Paris et de la HEC Business School. Il a travaillé pendant 30 ans chez PSA Peugeot Citroën, où il a tenu diverses fonctions en production et en projet, et où il est actuellement responsable d’une plateforme R&D dédiée aux véhicules utilitaires. Il est par ailleurs le président de la Fondation suisse CAUX-Initiatives et Changement et vice-président du conseil d'administration d'I&C France. Il a écrit de nombreux éditoriaux et articles pour le magazine français CHANGER.
NB : Des individus de toutes cultures, nationalités, religions et croyances sont impliqués et actifs avec Initiatives et Changement. Ce texte représente le point de vue de l’auteur, pas nécessairement de toute l’organisation Initiatives et Changement.