Les excuses pleines d’émotion des femmes Pokot au Kenya
« Je veux que Dieu soit le témoin de ce que nous allons dire aujourd’hui. La formation des Cercles des Femmes Artisans de Paix que nous avons suivie porte aujourd’hui ses fruits. Aujourd’hui, je suis ici en tant que femme Pokot et je parle au nom des femmes Pokot. Nous sommes vraiment désolées pour toutes les souffrances infligées par nos fils à votre peuple. S’il vous plaît, pardonnez-nous. Nous sommes désolées pour toutes les morts que nos fils ont causées, nos fils à qui nous avons donné la vie. S’il vous plaît, pardonnez-nous. Nous sommes désolées pour toutes les personnes déplacées par la violence causée par notre peuple. S’il vous plaît, pardonnez-nous. Vous êtes veuves à cause de nous. Vos enfants ne vont pas à l’école à cause de nous. Vous vivez dans la forêt à cause de nous. Vous mourez de faim parce que nous avons pris tout ce que vous aviez. S’il vous plaît, pardonnez-nous. Nous aussi nous en avons assez de la violence et des assassinats. Nous voulons la paix et nous travaillons dur pour ramener la paix. S’il vous plaît, pardonnez-nous. Je sais que nous venons de communautés ethniques différentes mais nous faisons toutes partie d’une même communauté, la « communauté des femmes ». Si nous nous donnons la main en tant que femmes, nous pouvons faire une différence dans notre pays. »
Ces paroles sont seulement quelques-unes des paroles prononcées par Mary Kuket, une femme de la communauté Pokot. Elle a parlé au nom des femmes de sa région aux femmes des communautés Ilchamus, Tugen et Endorois qui ont beaucoup souffert à cause des actions de certains individus de la communauté Pokot. Cette réunion de réconciliation est le résultat des Cercles des Femmes Artisans de Paix qui ont eu lieu dans la ville de Marigat, dans le comté de Baringo, le 27 mai 2015, avec la participation de 75 personnes.
Alors que Mary et 25 autres femmes Pokot près d’elle présentaient leurs excuses et demandaient pardon, il régnait un silence profond dans la pièce. De nombreuses femmes des communautés Pokot, Illchamus, Endorois et Tugens n’ont pas pu retenir leurs larmes. Il était évident que ces excuses venaient du coeur. Il était également évident que ces excuses étaient en train de rompre les chaînes de la haine et de l’amertume dans les coeurs de nombreuses femmes dans la pièce. Le nombre de fois que Mary a dit « nous sommes désolées » et « s’il vous plaît, pardonnez-nous » au nom de sa communauté était incalculable.
Ce qui a rendu ces excuses encore plus émouvantes, c’est le fait qu’il n’y a eu aucune justification de la part des Pokots sur la raison pour laquelle les choses étaient ainsi. C’était l’acceptation pure et simple de leur rôle dans la douleur des autres. Elles n’ont même pas dit qu’elles aussi avaient perdu leurs fils dans les violences. En fait, les femmes des communautés Illchamus, Endorois et Tugen ont plus tard reconnu que les femmes Pokot avaient également souffert parce qu’elles aussi avaient perdu leurs enfants à cause de la violence.
Après la présentation des excuses, des femmes Illchamus, Endorois et Tugen de différents milieux ont marché jusqu’à l’estrade et ont ouvert leurs coeurs. Lorsque certaines d’entre elles ont commencé à parler, les membres de l’équipe de médiation ont retenu leur respiration, priant pour que les choses ne partent pas dans la mauvaise direction et ne causent plus de tort que de bien. Nous remercions Dieu que chaque femme qui s’est exprimée sur une note personnelle, ou au nom des autres, ait assimilé et accepté les excuses et ait décidé de pardonner.
« Merci beaucoup de demander notre pardon. Nous avons beaucoup souffert. Nous disons « assez ! » (de la violence et des assassinats). Les mères qui accouchent dans la forêt et leurs bébés mangés par les serpents parce qu’elles ont été déplacées, nous en avons assez. Le nombre d’orphelins à cause des assassinats, nous en avons assez. Le nombre de veuves à cause des assassinats, nous en avons assez. Nous voulons la paix. Nous acceptons vos excuses et nous vous pardonnons, » a déclaré une des femmes.
« Je n’avais jamais imaginé que quelque chose comme cela pouvait se produire. Je n’avais jamais imaginé que quelqu’un de la communauté Pokot pourrait s’excuser et endosser la responsabilité de tout ce qu’il s’est passé. Mais aujourd’hui cela s’est produit. Nous ignorons où tout ceci a commencé (atrocités) et nous ne savons même pas où cela va se terminer. Mais nous acceptons les excuses. Si les Femmes Artisans de Paix est le canal grâce auquel le comté de Baringo retrouvera la paix, que cela soit ainsi », à déclaré une autre femme du groupe.
Après avoir vu l’impact et le potentiel des Cercles des Femmes Artisans de Paix dans le comté de Baringo, l’équipe CoP a décidé de faire du comté de Baringo une priorité afin d’organiser plus de Cercles de Paix pour créer une lame de fond, et transmettre les excuses et le message de pardon à plus de gens en aidant les femmes Pokot, Tugen, Endorois et Illchamus à transmettre aux femmes de différentes zones du comté de Baringo un message de paix et de réconciliation.
Ces excuses ont été faites suite à un processus qui avait commencé en août 2014 lorsque l’équipe CoP lança la formation du programme CoP pour les femmes de Kabarnet, Marigat, Sandai et, plus tard, en janvier 2015, pour les femmes d’East Pokot, Tangulbei et Nginyang. Au total, 81 femmes ont participé aux Cercles de Paix dans le comté de Baringo.
Nous sommes reconnaissantes pour l’initiative courageuse de ces femmes au niveau local. Il se peut que certaines personnes disent « Ce ne sont que des femmes qui ne prennent pas de décisions majeures dans leurs communautés et, par conséquent, leurs excuses et leur pardon n’ont pas d’importance. » Nous voulons souligner que cette initiative, si elle est soutenue entièrement, peut marquer l’histoire du comté de Baringo et celle du Kenya. Avec un vrai soutien, nous pouvons aider à créer un mouvement solide de femmes au niveau local, qui peuvent ensuite prendre des décisions qui seront écoutées par toute la communauté. Avec un soutien adéquat, nous pouvons apporter notre contribution pour que le leadership et la prise de décisions soient inclus dans une approche de bas en haut. Cependant, nous souhaiterions souligner le fait que, oui, il est bien possible que ces femmes ne soient pas présentes dans les salles de réunion pour parler de politique et des possibles stratégies pour faire face aux problèmes de sécurité dans la comté de Baringo, mais elles sont en contact avec les hommes jeunes causant toute l’insécurité, la violence et les atrocités dans ce comté. Elles ont le pouvoir d’influencer un changement positif chez ces hommes.
Merci à nos financeurs actuels : Irene Prestwich Trust (IPT), Daphrose Ntarataze (CoP Burundi), Tia Nair (CoP Malaysia), CoP Norvège et CoP Australie.
Merci aussi à Mediatrix Masava, Annie Gitu et Annastacia Munene !
Cliquer ici pour un rapport détaillé en anglais.
Par Ann Njeri Ndiangui-Kimanthi
Crédit photo : Mbindyo Kimanthi & Sam Mwaura
Pour l'équipe des CoP - Mediatrix Masava, Annie Njeri Gitu, Wambui Nguyo-Mwangi, Esthermarrie Inzekellah, Rose Njeri, Judy Mumbi, Annastacia Munene, Rachael Wamalwa et Ann Njeri Ndiangui-Kimanthi
Traduction par Marie-Louise Bautista