Réfugiés – une réponse venant d’Afrique
Récemment, nous avons publié un article de John Bond, qui soulignait que l’Europe – et en particulier la Grande-Bretagne – avait contribué à la création de la situation tragique que connaissent l’Afrique et le Moyen Orient, et que fuient les réfugiés en direction de l’Europe. Selon l’article, il incombe par conséquent aux Européens de les prendre en charge. Nous avons reçu une réponse de Ekuru Aukot, kenyan et avocat de droit constitutionnel au Kenya.
« Vous dites que les Européens, et plus particulièrement les Britanniques, ont une dette historique à payer ; et que l’Europe ne peut éviter de s’impliquer parce qu’elle a joué un rôle dans la création des nations qui connaissent aujourd’hui des difficultés.
Pour être juste il ne faut pas mettre tout sur le dos des Européens. Les Africains ont eux aussi des reproches à se faire. L’Union Africaine invite les Etats africains à se retirer de la Cour pénale internationale (ICC) alors qu’elle ne se montre pas capable de remédier au génocide en cours au Burundi, ni aux violations gratuites des droits humains en République Centrafricaine et au Soudan du Sud, pour ne citer que ces pays. Quelle est notre part de responsabilité, quand des hommes forts se protègent aux dépens du continent et que la majorité des pauvres finissent par devoir fuir en Europe pour survivre ? A chacune des assemblées de l’UA à Addis-Abeba, les chefs d’Etat et les gouvernements n’engagent aucune discussion sur l’avenir mais plutôt sur des points touchant la manière dont ils peuvent se protéger les uns les autres, comme le président Uhuru du Kenya, son adjoint William Ruto, ou encore Omar El Bashir du Soudan, tous suspects de crimes contre l’humanité devant l’ICC.
Quand l’Europe a dédommagé les Africains et financé l’aide au développement, nos leaders ont très souvent gaspillé ces ressources. L’Afrique connaît une corruption effrénée. Au Libéria, des fonctionnaires se seraient approprié l’argent donné pour lutter contre Ebola ; des fonctionnaires kenyans sont profondément impliqués dans d’énormes scandales de corruption, y compris le tout dernier qui concerne un investissement présumé dans des euro--obligations. On ne sait toujours pas clairement où se trouve l’argent.
Je vois donc une conspiration impliquant à la fois l’Europe et nos propres gouvernements africains. Tout en admettant que l’Europe ait sa part de responsabilité, quand saurons-nous faire notre autocritique et admettre que nous sommes parfois les auteurs de nos propres malheurs ? Prenons la situation délirante dans laquelle se trouve le Zimbabwe aujourd’hui. Alors que le président Mugabe continue d’accuser l’Occident des misères qui accablent son pays (ce qui n’est même pas vrai), des millions de personnes qu’il dirige d’une main de fer meurent de faim. En quoi cela est-il le problème des Européens ?
Nous devons blâmer les Africains pour la mauvaise gouvernance continue de leur pays. Prenons le Soudan du Sud. Ce pays a reçu un appui international pour accéder à l’indépendance en 2011, et pourtant, trois ans plus tard il a porté les armes contre lui-même. A qui peut-on honnêtement attribuer la faute de cette situation ?
A l’heure actuelle les gouvernements occidentaux tendent à collaborer avec des régimes ineptes, corrompus et dictatoriaux. De ce fait, ils institutionnalisent la mauvaise gouvernance. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis collaborent étroitement avec le Gouvernement kenyan en dépit des graves allégations de l’ICC à l’encontre du Président et de son adjoint. Si les nations européennes continuent de soutenir les nations africaines, il faut qu’elles soient d’une franchise brutale avec elles, et plus encore si elles ont l’intention de les dédommager.
Nous avons maintenant une génération d’Africains qui s’emploient à susciter la transformation nécessaire pour instaurer une meilleure gouvernance. Il appartient aux gouvernements européens bienveillants de construire des partenariats avec cette nouvelle cuvée d'africains. C’est ce que nous appelons de nos vœux au Thirdway Alliance. Notre objectif est de créer le changement qui permettra la mise en place d’un partenariat sérieux entre l’Europe et l’Afrique.
Pour ce qui est des migrants, je souhaite que les Européens et le monde considèrent les aspects positifs de la migration. Tout au long de l’histoire, les migrants ont souvent profité aux pays qui les accueillaient. Regardez Madeleine Albright, qui a émigré aux Etats-Unis et est devenue Secrétaire d’Etat. Albert Einstein était également un réfugié. Qui sait ce que deviendront les migrants actuels ! »
Ekuru Aukot est le directeur du Comité d’experts qui a élaboré la Constitution kenyane de 2010. Depuis lors, il est le principal conseiller technique et de droit constitutionnel attaché à la révision en cours de la constitution du Libéria. Il a fondé la Thirdway Alliance du Kenya. Celle-ci a pour objectif de développer des modes de leadership alternatifs et transformationnels en Afrique en créant des voies d’entrée en politique pour les jeunes, les femmes et d’autres acteurs actuellement laissés de côté dans le processus politique. »
A lire : l’article original de John Bond ‘Répondre à la crise des migrants en Europe’.
NB : Des individus de toutes cultures, nationalités, religions et croyances sont impliqués et actifs avec Initiatives et Changement. Ce texte représente le point de vue de l’auteur, pas nécessairement de toute l’organisation Initiatives et Changement.
Traduction par Camille de Stoop